
Sean Villanueva sur la Mirror Wall
La Mirror Wall au Groenland est l’une des parois les plus spectaculaires du monde : 1 000 mètres de granite, avec des sections si lisses et dépourvues de prises qu’elles ressemblent à un miroir.
« Je suis revenu pour tenter la même ligne que l’année dernière. L’appel de la Mirror Wall était trop fort, je n’ai pas pu résister, il fallait que je revienne ! »
Nous confie Sean Villanueva.
L’expédition a duré au total 43 jours : 10 jours de navigation en voilier, 11 jours de marche avec des charges allant jusqu’à trente kilos pour transporter tout le matériel, 17 jours d’escalade pour tenter d’atteindre le sommet et libérer un maximum de longueurs, et enfin 5 jours de repos forcés à cause du mauvais temps.
Une aventure incroyable dans l’un des endroits les plus reculés de la planète.
Sean, l’an dernier tu disais qu’il est important de s’autoriser la possibilité d’échouer, car sinon les aventures seraient vides et stériles. Quand as-tu su que tu retournerais au Groenland pour affronter à nouveau la Mirror Wall ?
« Dès que nous avons décidé de redescendre en rappel l’an dernier, j’ai su que je voudrais revenir. C’est une ligne tout simplement trop belle, sur l’une des parois les plus spectaculaires du monde. J’y avais mis tout mon cœur et toute mon âme, et lorsque nous n’avons pas réussi à franchir cette section de rocher lisse, j’étais déçu. En même temps, je me sentais si proche et pourtant si loin de la réussite. J’étais cependant très heureux que nous n’ayons pas compromis notre style d’escalade et que nous ayons accepté l’échec comme une expérience positive. Poser quelques spits à la suite (une échelle de spits) nous aurait permis d’atteindre le sommet. Mais ce n’était pas ce que nous voulions, ce n’était pas l’expérience que nous cherchions au Groenland.
Ce type d’expédition représente un investissement énorme. Mes compagnons de l’an dernier (Nico Favresse, Ben Ditto et Franco Cookson) avaient d’autres projets, alors dès mon retour à la maison, j’ai commencé à former une nouvelle équipe. »
Qu’as-tu ressenti à l’idée de retourner sur une voie qui t’avait déjà repoussé une fois ?
« J’étais très inquiet. Je n’étais pas du tout sûr que nous allions y arriver ! Malgré tout, il était très important pour moi de poursuivre l’aventure dans le même style que l’an dernier et d’être prêt à accepter à nouveau l’échec. »
Quelles chances de réussite t’étais-tu donné ?
« Je dirais que je nous donnais peut-être 20 % de chances de réussir sur la même ligne que l’an dernier. Mais je pensais qu’il serait peut-être possible de trouver une alternative, un autre chemin. J’étais prêt à relever le défi et à donner le meilleur de moi-même. Atteindre le sommet, réussir – ce n’était pas le plus important.
J’ai été très clair avec l’équipe que j’ai rassemblée cette année (Pete Whittaker, Julia Cassou, Seàn Warren, Keita Kurakami, Takemi Suzuki) : je leur ai dit dès le départ que c’était un immense défi et que le risque d’échec était élevé. Keita Kurakami est décédé d’une crise cardiaque seulement deux semaines avant notre départ. Ce fut un coup dur pour l’expédition et, bien sûr, son ami proche Takemi a choisi de ne pas venir.
Nous avons décidé de continuer malgré tout. Keita était également connu comme joueur de flûte shakuhachi, sous le nom de « 龍心 (Ryū-shin) », qui signifie en japonais « Cœur de dragon ».
La voie que nous avons ouverte (1 000 mètres, difficulté 8b/R/A2+, obligatoire 7b+/R/A2+) porte son nom, en hommage à notre compagnon de cordée, notre ami.
Il a été une immense source d’inspiration, et en pensant à lui, nous avons donné le meilleur et maintenu un style d’escalade pur. »
Tu ne voulais pas grimper en tirant de spit en spit (échelle de spits) : seulement en libre ou en artif engagé entre les points. Penses-tu qu’il y ait quelque chose que tu aurais pu mieux faire ou aborder différemment ?
« Je pense que nous avons grimpé avec le meilleur style possible compte tenu de nos compétences. Sur les 1 000 mètres de paroi, il y a au total 27 spits, y compris les relais. Je n’ai jamais placé autant de spits sur une voie, car je préfère garder les itinéraires aussi naturels que possible. Mais cette paroi n’offrait pas assez de fissures ni de structures pour poser des protections amovibles. À part quelques spits laissés à un relais pour les portaledges, je crois que tous les autres étaient vraiment nécessaires pour notre sécurité.
Quelqu’un de plus fort, plus doué ou plus audacieux aurait-il pu faire mieux ? Peut-être. Moi, je n’aurais pas pu faire mieux. »
C’était une expédition de 43 jours, pas vraiment courte…
« Pour moi, une expédition rapide façon fast food n’a pas de sens. Cela met trop l’accent sur la performance et pas assez sur l’expérience : on se contente de consommer la montagne. Si l’on ne fait qu’appuyer sur l’accélérateur, on rate l’essentiel, on oublie de vivre. Ce n’est pas moi qui décide combien de temps consacrer à une expédition, c’est l’objectif que j’ai en tête qui le détermine. Évidemment, je sais que c’est un privilège de pouvoir choisir de dédier autant de temps à ce genre d’aventure. »
Que ressens-tu en rentrant à la maison après une si longue période ?
« Parfois, il m’est difficile de quitter ces lieux incroyables, et cela me rend triste. Mais c’est toujours un bonheur de retrouver les amis, la famille et toutes ces petites grandes choses qui font le confort de la ‘civilisation’.
L’eau chaude, le chauffage, la nourriture fraîche, un lit – toutes ces choses ne devraient jamais être considérées comme acquises… »
Après 12 jours sur la paroi, vous avez atteint le sommet. Où avez-vous trouvé la motivation pour passer encore 6 jours sur la paroi à essayer de libérer les dernières longueurs ?
« C’était facile, nous n’avions pas besoin de motivation supplémentaire ! Le lendemain du sommet, nous étions vraiment fatigués et nous avons pris une journée complète de repos. Mais nous étions tous les quatre d’accord : c’était merveilleux d’être là, et nous voulions rester sur la paroi aussi longtemps que possible. Nous voyions cela comme un immense privilège. Combien de fois dans une vie peut-on être sur la Mirror Wall ? Probablement pas souvent…
Là-haut, rien n’est trivial ; même atteindre la paroi est un voyage complexe et laborieux. Une fois que l’on y est, autant en profiter le plus longtemps possible ! »
Malgré tout, 3 longueurs sont restées non libérées. Penses-tu que tu retourneras là-bas ?
« Il ne faut jamais dire jamais… mais je ne pense pas. Quand on planifie une expédition voile-escalade dans cette région, il faut prendre en compte la banquise qui ne disparaît qu’à la fin juillet, et les conditions météo qui se dégradent en septembre. En considérant au minimum 10 jours de portage aller-retour à pied pour amener tout le matériel au pied de la paroi, je pense que 20 jours est le temps maximum disponible pour grimper dans une saison. Il me semblerait très, très difficile de libérer ces dernières longueurs et de parcourir le reste de la voie dans un laps de temps si court. Peut-être que j’aurais plus de chances si ces longueurs se trouvaient dans ma falaise d’entraînement, mais je préfère les laisser à quelqu’un de plus fort que moi ! »
Tu as réalisé de grandes ascensions en équipe et des solos exceptionnels. Quelles sont tes impressions ? S’agit-il de satisfactions différentes ?
« L’escalade en équipe et en solo sont des aventures très différentes. En groupe, on est une cordée : il est important de travailler ensemble, de prendre les décisions collectivement, de se soutenir, de se respecter et de faire des compromis.
Quand on est seul… on fait tout soi-même ! On prend les décisions et on fait ce qui doit être fait. Bien sûr, en équipe on peut grimper des lignes plus difficiles qu’en solo. Si nous avons autant progressé cette année, c’est aussi grâce aux efforts de l’an dernier. Je suis extrêmement reconnaissant envers chacun de mes partenaires qui ont partagé ces deux années d’aventures avec moi, y compris Keita et Takemi. Ils sont tous formidables ! »
La paroi est comme un miroir. Penses-tu qu’essayer de devenir une meilleure personne t’aide à devenir un meilleur grimpeur ?
« Absolument ! Être une meilleure personne signifie être plus équilibré, avoir une énergie positive et un état d’esprit plus adapté à l’escalade. La paroi peut refléter à la fois les aspects positifs et négatifs que tu portes en toi.
Dans tous les cas, il est bien plus important d’être une bonne personne qu’un bon grimpeur. J’y… travaille encore. Pour moi, quand je pars en aventure, il est essentiel d’avoir mes motivations personnelles bien claires : parfois, cela aide de les écrire sur un morceau de papier. J’ai compris que ne pas m’inquiéter du résultat – réussite ou échec – me rend plus fort, et rend l’expérience plus forte aussi. Je ne peux pas contrôler la météo, les conditions ou la roche. Ça ne sert à rien de se plaindre ou de vouloir que les choses soient différentes de ce qu’elles sont.
Ce que je peux faire, c’est donner le meilleur de moi-même, choisir de vivre pleinement – et savourer chaque instant ! »