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Damien Arnaud climbing Punta Innominata on Mont Blanc, ascending a steep snowy and rocky ridge under a clear sky.

Le point de vue de Damien Arnaud, skieur et alpiniste français, qui avec son groupe d’amis a ouvert une nouvelle voie sur la face nord-est de la Punta Innominata, au Mont-Blanc. Le récit de son ascension, de l’intuition à la réalisation de l’objectif : 700 mètres de longueur, jusqu’à 55°, avec trois rappels et une sortie finale donnant naissance à une ligne « sauvage, raide et inviolée ».


 

« J’ai repéré cette ligne le 21 janvier 2025, depuis le sommet des Dames Anglaises. J’étais avec Jules Socié, mon partenaire de cordée. La face nord-est de la Pointe Innominata se dressait devant nous. La ligne m’a sauté aux yeux – presque une évidence. Jules avait son drone, je lui ai demandé de prendre une photo. De retour à la maison, j’ai étudié l’image. La ligne apparaissait clairement, traçant une diagonale élégante sur la face : sauvage, raide, esthétique. Après quelques recherches, j’ai compris qu’aucun skieur ne l’avait encore explorée. À ce moment-là, c’est devenu mon objectif de l’hiver. Une idée fixe, une obsession. J’en ai parlé à Jules : il l’avait vue aussi et partageait la même motivation. Quand une ligne s’installe dans ma tête, impossible de l’oublier – elle devient vite une obsession. Quelques semaines plus tard, nous avons tenté une première fois, le 3 février. Le plan était de dormir au bivouac du sommet des Dames Anglaises. Selon ce que nous avions trouvé en ligne, il devait y avoir couvertures et matelas. Parfait, nous sommes partis légers. Trois heures d’ascension, puis deux heures à déneiger pour ouvrir la porte du bivouac… et surprise : rien. Pas de couvertures, pas de matelas. Seulement le vide glacial. On s’est regardés, on a éclaté de rire, et on est passés au plan B : skier à nouveau la face nord des Dames Anglaises. Une descente ludique, mais la ligne rêvée me hantait toujours.

 


Février est passé. Jules travaillait beaucoup, et j’avais d’autres projets. Mais la ligne restait présente dans mon esprit. En mars, Jules avait plus de temps. Nous en avons reparlé et décidé que si nous devions réessayer, ce serait depuis le refuge Monzino. Plus question de remonter les Dames Anglaises une troisième fois – surtout pas avec le matériel de bivouac. Nous avons prévu de partir le 26 mars. « Il faut qu’on aille voir », nous sommes-nous dit. « Après ça, ce sera sûrement trop tard. » Avec l’arrivée du printemps et un puissant anticyclone installé, nous ne voulions pas rater cette fenêtre. »

 

 

Damien Arnaud opening the new line on the North-Est face on Punta Innominata - Mount Blanc


« J’ai contacté Zian Perrot. Depuis notre expédition au Népal, nous n’avions pas eu beaucoup d’occasions de repartir ensemble. Il a accepté. Être trois pour ce genre de mission nous paraissait idéal. Le 26, nous avons quitté Chamonix pour rejoindre Courmayeur. Quatre heures éprouvantes à tracer dans une neige croûtée nous ont menés jusqu’au refuge. Difficile, mais nous y sommes arrivés. Le réveil a sonné à 4 h 30. Petit déjeuner rapide, puis départ vers l’arête que nous avions repérée la veille avec le drone. Elle semblait plus technique que prévu… mais nous avions tout le matériel nécessaire. Le départ fut lent. Je ne me sentais pas très en forme physiquement, mais nous progressions régulièrement. Nous avons atteint le col, le début de l’arête. À partir de là, il était clair que faire demi-tour serait compliqué. La seule issue était vers le haut. La première partie de l’arête était douce. Nous avancions vite, en surveillant les corniches. Puis elle s’est redressée et rétrécie. Nous avons décidé de tirer des longueurs. J’ai mené la première, puis Zian a enchaîné avec une superbe longueur de 60 mètres. Jules et moi l’avons rejoint en pensant que les difficultés étaient derrière nous — mais non, il restait encore une longueur. Jules a pris la tête et a gravi ce qui fut probablement le plus beau passage de la journée : la section finale, fine comme une lame de rasoir.

 

L’ambiance était incroyable. De l’exposition partout. Les nuages passaient sans cesse. Il ne restait plus qu’une partie plus facile, mais toujours exposée aux corniches. Environ huit heures après avoir quitté le refuge, nous étions tous les trois au sommet de la Pointe Innominata, ravis de pouvoir enfin chausser les skis. Nous avons entamé la descente. L’ambiance était irréelle. Une exposition énorme sous nos pieds — chaque virage comptait. C’était un de ces moments où il faut performer, donner le meilleur de soi. La neige était médiocre en altitude. Nous sommes arrivés à un passage technique, un bastion séparant deux couloirs. Nous avons installé un relais et effectué un premier rappel de 15 mètres. Un second rappel de 15 mètres nous a ramenés sur la neige. Après une courte remontée à pied, nous avons pu rechausser les skis pour le deuxième couloir.

 

La neige y était meilleure. Nous avons enchaîné les virages plus vite et, en quelques minutes, nous étions en bas du couloir. Un dernier rappel de 20 mètres nous a conduits sur le glacier du Frêney.

 

Mais la journée n’était pas terminée. Il fallait encore sortir. C’était le moment de sortir notre arme secrète : le drone. Descendre le glacier paraissait trop dangereux. Mais nous avons repéré un couloir qui remontait vers le col où nous avions commencé l’arête le matin même. Nous avons légèrement skié pour l’atteindre et entamé l’ultime remontée. Épuisés, nous y sommes arrivés — de justesse — puis avons glissé jusqu’au refuge. Cette ligne fut une véritable aventure. Technique, engagée et magnifique. Probablement ma plus belle première descente à ce jour. Mais je n’ai pas l’intention de m’arrêter là. »

 

 

Damien Arnaud skiing down the new line on the North-Est face on Punta Innominata - Mount Blanc